Comprendre la dépendance au numérique : sommes-nous tous accro ?
✎ Écrit par Loïc Volery - 22 octobre 2025Introduction
Vous arrive-t-il de vous transformer en «zombie» derrière votre écran, en tombant dans une boucle infinie de contenu ? De scroller sans vraiment vous rendre compte de ce que vous regardez et de ne pas voir le temps passer ? Pour beaucoup d’entre nous, la réponse est probablement “oui”...
Dans un monde où notre smartphone occupe une place de plus en plus importante, où notre attention est très souvent captée et où la tendance à l’hyperconnectivité et à la réponse immédiate devient la norme, une question cruciale se pose : sommes-nous tous devenus esclaves de nos outils numériques ?
Cette dépendance croissante pose des défis majeurs pour la santé mentale, nos facultés cognitives, nos relations sociales et le vivre-ensemble. En ce sens, ceci constitue un enjeu majeur du numérique responsable, qui implique un travail en profondeur sur notre manière compulsive d'utiliser les plateformes technologiques, surtout celles liées à la communication instantanée et aux réseaux sociaux ou informationnels. Mais comment faire pour reprendre le contrôle et utiliser le numérique de manière consciente et responsable ?
Nous partageons avec vous quelques éléments de réponses qui ont émergé pendant l’atelier Comprendre la dépendance au numérique : sommes-nous tous accro ? qui s’est tenu lors du Sustainable IT Day 2025.
Une invitation à ralentir
L'atelier a invité à « ralentir » notre utilisation et à réfléchir à une utilisation plus consciente, ciblée et durable. L’atelier a commencé par une question simple posée aux participant.e.s : Sommes-nous tous accrocs au numérique ? Les participant.e.s, venu.e.s de différents horizons, ont été invité.e.s à explorer cette question à travers un jeu de cartes en intelligence collective. L’objectif ? Cartographier la dépendance au numérique en répondant à trois questions essentielles :
- À quoi pouvons-nous être accro ?
- Quels sont les mécanismes de la dépendance (ou comment les plateformes numériques nous rendent-elles accro) ?
- Quelles peuvent être les conséquences possibles (cognitives, psychologiques, sociales et physiques) ?
Chaque carte posée sur la table a suscité des discussions animées, des anecdotes personnelles et des réflexions profondes. Les participant.e.s ont partagé leurs expériences, leurs doutes et leurs stratégies pour mieux gérer leur relation avec le numérique. Le jeu, à la fois éducatif et propice au team building, a permis l’émergence d’échanges constructifs, le tout dans une ambiance conviviale et détendue.
Ce qu’il faut retenir
Voici quelques pistes pour débuter ou alimenter votre réflexion sur votre usage du numérique ou celui de vos proches.
1. Tour d’horizon de quelques concepts clés
Les notions suivantes concernant l’utilisation problématique du numérique sont utiles pour mieux appréhender ce phénomène.
- L'économie de l'attention : modèles économiques utilisés par les plateformes numériques exploitant notre temps et notre concentration pour générer des profits.
- La captologie : champ d’étude, au croisement de la psychologie et de l’informatique, ayant pour objet les technologies numériques comme outils de persuasion et de changement des comportements.
- La dopamine : surnommé "hormone du plaisir” est neurotransmetteur central dans le système de la récompense. Les applications numériques, p.ex. les réseaux sociaux, sont conçues pour exploiter ce mécanisme grâce à des éléments comme les notifications, les « likes », le défilement incessant et les contenus imprévus.
- Le Lock-in Effect : ce sentiment de se sentir piégé dans une plateforme, incapable de s’en détacher.
- La FOMO (Fear Of Missing Out) : cette peur de rater quelque chose qui nous pousse à rester constamment connectés.
- La nomophobie : cette angoisse de ne pas avoir son téléphone sur soi.
- Le phubbing : le fait d’ignorer les personnes autour de nous pour consulter notre téléphone.
2. Différencier l’addiction et l’usage problématique
D’un coté, depuis juin 2018, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a ajouté le trouble du jeu vidéo (gaming disorder) à la liste de la classification internationale
des maladies (CIM 11). De l’autre, le terme « addiction » doit être utilisé avec prudence car il n’existe à ce jour pas de consensus parmi les expert.e.s sur une définition ou des critères diagnostiques. Pour cette raison, on parle plutôt d’utilisation problématique d’Internet. Les termes « utilisation excessive » ou « cyberdépendance » sont aussi utilisés.
Même si on ne peut pas parler d’addiction au sens strict du terme, selon les derniers sondages, 15% de la population suisse de 15 ans et plus présenterait une utilisation problématique d’Internet, ce qui correspond à environ 1 million de personnes. Chez les 15 – 19 ans, la prévalence d’utilisation problématique des reseaux sociaux s’élèverait à 7%. L’usage problématique des jeux vidéo chez les jeunes s’élèvent à 3%.
3. Reconnaître les comportements problématiques
Aucune activité numérique n’est en soi mauvaise. Mais chaque activité numérique peut entraîner une perte de contrôle et avoir des conséquences sur la vie sociale, la santé physique ou psychique. Il est important de savoir repérer les signes avant-coureurs d’une utilisation problématique du numérique. Voici quelques questions identifiées lors de l’atelier, qui peuvent vous y aider :
- Est-ce que le sommeil est affecté ? L’alimentation se détériore-t-elle ?
- Est-ce qu’internet est un échappatoire pour fuir des problèmes et / ou y'a-t-il une tendance à l’isolement ?
- Est-ce que l’utilisation du smartphone est un réflexe en cas d’ennui ? Est-ce que le temps passé en ligne est plus conséquent que celui passé dans le monde physique ?
- Est-ce que des difficultés à l’école ou au travail sont observées ?
- Les écrans sont-ils une source de conflit récurrente au sein de la famille ?
4. Mettre en place des stratégies de sortie
L’atelier a proposé des stratégies réparties en quatre niveaux d’intervention pour réduire la dépendance au numérique :
- Personnel : Prendre conscience de nos habitudes individuelles et les changer, pour une utilisation plus consciente de nos outils. Par exemple, se fixer des règles d’utilisation personnelle (pas de smartphone dans la chambre, arrêt de l’utilisation du smartphone 1h avant d’aller dormir, etc.) ou bien décider de faire un inventaire des avantages / désavantages des applications que l’on utilise et choisir d’en désinstaller certaines. On peut également utiliser certaines applications pour nous mettre une limite d’utilisation. Si nécessaire, on peut également se faire aider par des professionnel.le.s.
- Familial : Impliquer toute la famille dans une démarche de réduction de l'usage du numérique. Créer ensemble des règles pour l’usage des écrans au sein du foyer et montrer l’exemple en tant que parents. Si la situation le demande, prendre contact avec des professionnels.
- Entreprise : La surstimulation du cerveau (saturation cognitive), la surabondance d’information (multiplicités des logiciels, app ou plateformes utilisés pour le travail, par exemple) et la connexion permanente peuvent favoriser l’épuisement professionnel. Ainsi, encourager des pratiques responsables au sein des organisations et promouvoir le bien-être numérique, avec notamment le droit à la déconnexion, semblent être des mesures bénéficiant autant à l’organisation qu’aux collaborateurs. Pour ce faire, vous pouvez partager des informations et des contenus à ce sujet avec l’équipe RH et proposer l’organisation d’atelier de sensibilisation.
- Sociétal : Garder en tête que de nombreux outils numériques sont conçus pour capter notre attention permet de déculpabiliser : l’utilisation problématique du numérique n’est pas une faiblesse individuelle, mais plutôt le résultat d’un système économique exploitant certains mécanismes physiologiques pour maximiser le temps passé sur nos écrans. Il s’agit d’un problème de société. Dès lors, les mesures individuelles ne suffiront pas à le résoudre et une action plus globale est nécessaire. C’est par exemple en créant des espaces de discussions dans les organisations, dans la société civile et dans la politique que ce thème pourra être porté au débat public et que des solutions pourront émerger.
Conclusion
L'atelier Comprendre la dépendance au numérique a proposé une expérience unique et enrichissante, permettant aux participant.e.s de mieux comprendre les enjeux de la dépendance numérique et d'adopter des stratégies pour une utilisation plus responsable.
S’agissant d’un enjeu sociétal, nous avons toutes et tous la possibilité d’agir à notre niveau pour imaginer et promouvoir une autre utilisation du numérique. Pour les utilisateurs, en apprenant à ralentir et à réfléchir à leur relation au numérique. Pour les designers, développeurs et concepteurs d’outils numériques, en faisant passer le bien-être des utilisateurs en premier. Pour les décideurs, en mettant en place des incitations ou des règles pour tendre vers une utilisation raisonnée du numérique.
Pour aller plus loin
Si vous souhaitez approfondir le sujet, voici quelques ressources précieuses :
- Ateliers d'unpluggo : Pour les entreprises, associations et particuliers. Découvrez les ateliers d'unpluggo sur www.unpluggo.ch.
- Démarche 3-6-9-12 : Une approche pour les familles avec enfants, disponible sur www.3-6-9-12.org.
- Job-Stress Index : Pour soulever la question du stress lié au travail, consultez le site friendlyworkspace.ch.
- Références :
Bio de l’animateur
Mario Sgarrella est fondateur de unpluggo.ch, formateur et conférencier. Il a travaillé plus de dix ans dans le marketing, les relations publiques et la publicité. Dans ses activittés, il utilisait régulièrement les médias sociaux pour recueillir de grandes quantités de données sur l'« engagement » des publics cibles afin de les recibler avec des messages intrusifs. Suite à la naissance de son fils, il prend conscience de l’intrusivité des réseaux sociaux et des usages problématiques du numérique, ce qui le pousse à supprimer tous ses comptes et à reprendre le contrôle sur ses notifications. Finalement, il lance unpluggo : le premier centre de bien-être numérique de Suisse.
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